BARBARA CARLOTTI,
L'idéal,
4AD, mars 2008.
Barbara Carlotti, c’est une belle et longue dame corse de 34 ans qui chante et se meut sur scène avec cette surprenante élégance qui la caractérise. C’est en 1993 qu’elle prend ses premiers cours de chant, orientation jazz. Très vite, le bac en poche, elle veut chanter, dit-elle, à la stupéfaction de ses proches. C’est sûr, elle en fera son métier. Elle se lance : 2005 voit alors la sortie de son mini-album autoproduit intitulé sobrement Chansons. Un an après, elle se fait remarquer sur Les lys brisés grâce au convoité «Cannes» qui devient le générique officiel du Grand Journal de Canal+, la même année, lors des éditions spéciales se déroulant en direct du célèbre festival... «Sur la croisette, Nicole Croisille / Lance un grand rire de pacotille / Que de belles filles / Quinze jours à Cannes tout est possible / Dans les coulisses du festival / Pénétré d’un vent de scandale / Le regard d’Elodie Bouchez / Tu sais que tout peut arriver...» Chanson-satyre sur les starlettes et l’ambiance camelote chic du festival vue du côté de celles-ci. Un monde auquel Barbara Carlotti semble appartenir elle aussi... Et pourtant. Une allure très classe, un phrasé unique, une voix à la fois grave mais haut perchée capable de monter très haut (elle a fait du chant lyrique), tout en rondeurs, chaleur et connotations jazzy, forcément. Carlotti ne laisse personne indifférent. Cette si belle allégresse pour parler de choses piquantes, gênantes presque pour les invités de Michel Denisot, en plein dans le sujet...
Après plusieurs concerts drainant pas mal de monde, elle revient en 2008 avec le sublime L’idéal, dont elle signe tous les textes et presque toutes les musiques. D’emblée, le ton est donné : l’album s’ouvre sur «Nous passerons nos vies dans des lieux sublimes / A lire en sirotant l’alcool des textes décadents / Sur la nature de l’homme, sur ses plaisirs futiles / Et nous rirons à pleines dents». Il doit il y avoir du Baudelaire là-dessous, beaucoup de belles lectures, beaucoup de poètes sans doute et quelques soûleries maîtrisées dans de grands appartements parisiens où l’on rêve d’ailleurs... Quoi qu’il en soit, on suit la chanteuse à pieds joints dans son idéal. Elle couche et chante les mots que l’on aurait aimé écrire soi-même pour décrire la vie parfaite. C’est éclaboussé d’eau de mer et de soleil, débordant de charisme sur des tonalités sophistiquées. Barbara Carlotti, c’est la classe, l’intelligence, la justesse, l’épure. C’est référencé Rimbaud, Blaise Allan, Verlaine, c’est mélancolique aux sujets parfois pathétiques («Vous dansiez»). Ça parle beaucoup de spleen, d’amour aussi, raté peut-être («La lettre») mais pour un mieux («Le chant des sirènes»), de désillusions pour «Bête farouche» (où elle s’adresse à un homme qui n’est décidément pas pressé...), de tristesses, de solitudes dans «Changement de saison»où son pauvre cœur ne sait plus où il en est... C’est plein de bonnes intentions aussi, avec un élan de sympathie écologiste («Pour la nature») et la condamnation des dames un peu trop snobs qui se vêtent de peaux d’animaux («Les femmes en zibeline»)... C’est désuet aussi, parfois facile mais tellement poétique: «Il n’est pas difficile ici de se laisser bercer / Le soleil et le vent léger / L’eau douce et mon cœur pour t’aimer» («Ici»).
Barbara Carlotti, elle fait penser à des roses, à du vin corse, à des cheveux bien peignés qui sentent toujours bons, à des dressing remplis de fringues convoitées, à des cartes postales vue sur mer et à des soirées d’été fraîchement arrosées au bord d’une plage en compagnie d’Etienne Daho, Nina Simone et Serge Gainsbourg...
Et elle ne fait penser à personne d’autre car elle est idéalement différente. Vous en connaissez beaucoup des chanteuses capables, comme elle, de placer avec infiniment de justesse dans une petite chanson les mots «arithmétique», «spectre», «factice», «justaucorps», «désarticulés» et «poncif» ?
Ah oui, aussi, si vous vous baladez dans Paris et que vous apercevez une Vespa rouge, contactez-la, elle a perdu la sienne en novembre... barbara.carlotti@free.fr
AB, février 2009
SAULE ET LES PLEUREURS,
Western,
label 30 février / Polydor, janvier 2009
Variations en Saule pleureur…
«Certains appellent ça le blues / Le coup d’cafard ou le spleen / Y’a toujours bien eu un mot / Pour vous décrire la déprime / Et moi, je dis que je suis saule...» Cet extrait de «Saule 2» qui figure sur le deuxième album de Saule résume bien la tonalité des nouvelles chansons du «grand géant» montois, entouré de ses Pleureurs.
Derrière une pochette en portrait noir parsemé d’étoiles blanches (avec un petit côté Star Ac’ involontaire), on découvre un nouvel opus aux textes résolument sombres mais que la profondeur des mélodies et des arrangements musicaux habille de légèreté, comme dans le premier album «Vous êtes ici», qui dans l’ensemble était néanmoins plus «optimiste». De sa voix douce et sur des musiques entraînantes, Baptiste Lalieu égrène l’air de rien des phrases coups de massue comme, au hasard, «Je n’ai personne où aller / Mes yeux se ferment pour me dire / Qu’il serait temps d’en finir / Et se mettent à pleurer», ou «Mais c’est pas grave mon cœur / Si tu ne veux pas qu’on parle / Moi, je regarde ailleurs» ou encore «On manque cruellement de tendresse / Quelqu’un qui nous enlace / Ou bien qui nous caresse»… On ne peut pas dire que ce Western soit une chevauchée au paradis !
Quand la mélancolie ne suffit plus, Saule y ajoute un brin de cynisme que je ne lui connaissais pas encore et qui ne manque pas de faire sourire tout en provoquant une sensation désagréable : ainsi adresse-t-il joyeusement un «Bien bien bien / Bienvenue au monde» aux nouveau-nés des pays les plus pauvres de notre planète, ou attribue-t-il le secret des «vieux couples qui durent» à l’incapacité des conjoints, enfoncés dans l’usure du quotidien, à se déclarer leur… désamour.
Malgré le «tombeau de solitude» qu’il traîne dans sa chanson d’ouverture «Personne», Saule n’est plus vraiment seul au milieu du jardin : fort du succès de «Vous êtes ici» (disque d’or en Belgique) dont Franco Dragone s’était empressé de proposer une nouvelle mise en scène, vers Saule (et ses Pleureurs) se sont déplacés, attirés par toutes les jeunes pousses prometteuses, quelques palétuviers incontournables de la flore musicale hexagonale, tels que Dominique A (en duo sur «Personne»), Seb Martel (réalisateur entre autres du dernier Fersen) ou Ibrahim Maalouf (le trompettiste attitré de la nouvelle scène française, en tournée actuellement avec Vincent Delerm). De ce mélange de végétations, il ressort Western, coproduit par Polydor, un album au son plus «professionnel», donc malheureusement plus… lisse, débarrassé des aspérités qui faisaient le charme du premier disque. Une impression due aussi à l’abandon des sonorités boisées et du ronronnement des cordes frottées au profit d’un univers plus rock.
Au programme, j’épingle deux perles : «Désert» auquel la voix sublime de Sacha Toorop donne du… relief sur une mélodie limpide, et «Futur» dont l’atmosphère musicale, surgie de quelques notes claires d’arpèges déployés tout au long de la chanson, fait écho aux frissons ressentis à chaque écoute du «Baiser» de «Vous êtes ici». En revanche, on ne retiendra pas les bonus (sauf la désespérante et belle «Graine») proposés après le onzième titre, parmi lesquels une reprise incongrue de «Wonderful life». Dommage aussi l’absence de la chanson composée pour le film Cow-boy de Benoît Mariage…
Enfin on se réjouit d’apprendre que la chatte Agathe, dans l’anus de laquelle Saule avait mis un pétard pirate, a désormais un compagnon, Sénéchal, qui n’est pas mieux traité puisque Sidonie «l’a tondu comme un moine»... Que notre amie Sidonie, fan de la première heure qui a rebaptisé son chat Sénéchal, ne vienne plus nous dire qu’elle n’est pas l’inspiratrice de cette très belle chanson à laquelle Saule a donné son nom !
RB, février 2009
JEANNE CHERHAL,
L'eau,
tôt Ou tard, octobre 2006
RB, novembre 2006
FRANCK MONNET,
Malidor,
tôt Ou tard, octobre 2006.
Rendez-vous sur le site de son label www.totoutard.com pour y écouter quelques titres de ses albums. Découvrez aussi, sur l’album de duos des artistes du label, Fiancés avec Lhassa et Tout le monde se sert dans mon assiette avec Jeanne Cherhal. Mais aussi ses magnifiques Bancs revisités par Vincent Delerm !
Son très beau site vaut également le détour : www.franckmonnet.net
En concert le 27 novembre à la Cigale, nous on y sera !
AB, octobre 2006
SAULE ET LES PLEUREURS,
«Vous êtes ici»,
label 30 février, mars 2006.
Quelques semaines plus tard, j’ai acheté l’album : Vous êtes ici. Le timbre balancé entre Mathieu Boogaert et M, Saule égrène ses chansons avec douceur et nonchalance. Les mélodies s’enchaînent naturellement, du «saule qui pleure en attendant son heure» au «grand bal des timides» où les impossibles partenaires ont dans leur cœur un «p’tit nœud qui fait mal»… La voix de Saule, fluette et sereine, apaise, invite à l’envol: c’est l’histoire d’un «baiser parmi des milliers» qui est en fait un «baiser d’adieu», l’histoire d’un «dernier jour à vivre» (comme les dix dernières minutes de Cali, mais en beaucoup mieux), l’histoire d’une «Madame Pipi» qui a «plus de style dans ses gestes que toutes les stars du show-business», l’histoire tragi-comique du «complexe de Peter Pan» qui empêche l’adulte de ne plus être enfant et de garder sa femme… Les Pleureurs (les autres membres du groupe) font des vocalises à certains moments choisis et notamment dans les chansons plus énergiques: «Minimum », qui fait l’éloge de la paresse, «Le boss», «Murphy»… Et puis, «Tête ailleurs», qui résume bien l’univers flottant de cet excellent premier album: «Ma tête est ailleurs / sur une autre planète / parmi les grands rêveurs / aux allures un peu bêtes / comme un gros poisson / ça fait des bulles dans mon cerveau / des trucs mal connectés qui font que / j’suis distrait»
Une chanson cachée achève le voyage, dans un style un peu différent, les pensées d’un jeune homme qui s’emmerde à l’opéra et qui, bon Dieu, doit «faire pipi à mort, à mort, à mort, à mort, à mort»… Depuis que je connais cette chanson, chaque fois que je suis dans une situation urinaire similaire, j’ai ce refrain en tête… Merci Saule !
Au final, ma chanson préférée est peut-être «Tu dors»: en l’écoutant, je me retrouve au fond de mon lit, avec des «étoiles à l’envers» derrière la fenêtre…
Grand enfant, timide, rêveur, distrait : Saule, c’est un peu Folon qui se serait mis à la chanson. On est ici mais on a la tête ailleurs. Les pieds sur terre, la tête dans les nuages.
RB, août 2006